Texte unique – 10 minutes

Inducteur
Issu de « Capitale de la douleur », Paul Eluard, La parole.

Je suis vieille mais ici je suis belle. J’observe ce corps qui m’a porté, qui a porté mes enfants aussi. Je contemple les formes effondrées, les rondeurs désormais angulaires, les traits profonds et la fripe grise qu’est devenue ma peau.

Nue devant mon miroir, c’est peut-être la lumière qui a changé. Je ne me sentais plus concernée par la notion de beauté pourtant ce soir, dans les couleurs dorées du couchant, je suis belle. À moins que ce ne soit mon regard qui ait changé.

Mes cicatrices sont un roman, mes rides des histoires. Les fils gris de mes cheveux, de mes poils, sont les traits d’un crayon rédigeant un autre chapitre. Je frissonne, j’attrape ma robe de chambre. Si je ne me sens plus vulnérable dans ce corps qui a rétréci, si je me sens forte et éclatante, je ne suis pas immunisée contre le froid.

J’enfile mes chaussons. Je les ai choisi en satin rouge. Plus personne ne s’intéresse à mes originalités alors j’en profite pour craquer ce qui me plaît. Mes pieds sont parés d’une tenue royale.  Un coup de brosse sur mes cheveux longs et je file la rejoindre. Elle m’attend dans la chambre.

Crédit photo : Kate Parisotto – There’s no place like home sur Flickr