Vers la sobriété heureuse – Consommer avec modération

Bien que plus sensible aux romans, je change tranquillement mes habitudes de lecture pour me tourner vers de ce que j’espère être de la nourriture intellectuelle et me permettre d’appréhender le monde avec un œil critique plus substantiel. « Vers la sobriété heureuse » m’a paru être une manière douce de faire cette gymnastique mentale. Entre la notion de bonheur et celle de modération, l’anticapitaliste à tendance zen qui sommeille en moi ne pouvant que se réjouir, au point de craindre d’être trop emballée et de n’y voir aucun défaut.

J’avoue qu’en dévorant cet essai, mon engouement a été tel que j’ai eu l’impression qu’il ne tenait qu’à moi de changer le monde. J’étais prête à passer le cap pour aller élever des chèvres dans le Larzac. Je m’imaginais déjà dans ma maison à éolienne, arrosant à l’eau de pluie mon jardin bio nourrit aux résidus de mes toilettes sèches. Bref, ce livre allait changer ma vie !

Et puis je suis arrivée au chapitre intitulé « Un rééquilibrage masculin/féminin » (page 116 sur 164 tout de même) où tous mes signaux féministes se sont mis à clignoter. Ce qui m’embête dans ce passage, c’est qu’il commence sur une argumentation biaisée et qu’il se poursuit sur des idées intéressantes.

Dans l’introduction à cette partie, Pierre Rahbi développe les idées que la technologie et la science ont surtout été des apports masculins et que les femmes ont un naturel beaucoup plus protecteur, à travers notamment l’exemple des femmes durant une famine au Sahel qui ont déployé une énergie incroyable pour aller chercher de la nourriture pour leur famille.

Il me semble que de tels arguments sont bancals puisqu’ils ne prennent pas en compte les contextes sociologiques et historiques. Ces Sahéliennes ont-elles fait ces efforts par instinct ou parce que le fonctionnement de leur société attend qu’elles nourrissent leur enfant et qu’elles soient protectrices ? Si les femmes avaient pu avoir accès aux domaines scientifiques de façon égale aux hommes au cours de l’Histoire, les pistons, carburateurs et émetteurs d’ondes électromagnétiques (exemples cités dans le livre) auraient-ils été des créations exclusivement masculines ?

En remarquant ce biais assez évident, je me suis interrogée sur le contenu général de ce livre et sur la plausibilité de ce qu’il propose. N’étant absolument pas une experte en économie, je n’arrive pas à identifier les incompatibilités que peuvent soulever ses propositions et par conséquent, à mon enthousiasme éhonté s’est mû en un doute appuyé.

Sur le principe, difficile de dénigrer cette envie d’un retour à une consommation raisonnée où le profit ne définirait plus la valeur du travail, où l’humain serait la valeur essentielle. Un telle proposition est plutôt séduisante mais son argumentation construite sur la perte des valeurs passées me gêne quelque peu et me fait craindre à une idéalisation poussée, à un mythe du bon sauvage contemporain en somme.

Malgré mes réserves, je reconnais volontiers que cela fait un bien fou de lire des choses positives sur la manière de faire bouger le monde et de se dire qu’il y a des portes de sortie face à l’économie du rentable à tous prix. Pour ma part, je conçois la pensée de Pierre Rabhi comme une source d’inspiration qui doit être enrichie par d’autres courants, pour que cette évolution en dehors de la société de consommation et de l’exploitation ne soit pas uniquement un retour au passé mais bien un bond en avant.

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4 Comments

  1. Argh, comme je comprends le sentiment !
    Pour ma part, je lisais pas mal le magazine Kaizen et même si Rahbi y est décrit comme un demi-dieu, mais je n’ai jamais trop voulu m’attarder sur le personnage car j’avais déjà lu certains propos édifiants de sa part (sans doute sortis de leur contexte, etc., mais quand même).
    Je reconnais que les propos sont en revanche – généralement – pleins de bon sens.
    (Je ne sais pas si le lien est évident, mais dans le genre « alternative économique », les arguments présentés dans le film/le livre Demain m’ont bien plus parlé)

    • Je n’ai pas encore eu l’occasion de voir « Demain ». Il paraît qu’il est vraiment bien.

      Niveau lien, je pense qu’il est assez évident vu que le réalisateur fait partie du mouvement Colibris, fondé par Rabhi. Les deux ont des propositions constructives et des visions plutôt optimistes sur l’avenir. Après ça ne veut pas dire qu’ils partagent les mêmes idées sur tout (on va espérer).

      Je vais regarder cela de plus près pour enrichir un peu ma culture sur ce sujet. Merci de la suggestion. 🙂

  2. Pour compléter ce que je t’avais dit sur Rahbi sur Instagram, voici le lien de l’article que j’avais lu sur son avis sur l’homosexualité : http://www.lesenrages.antifa-net.fr/rabhi-sur-la-famille-et-la-pma-a-droite-toute-2/

    Mais effectivement, je l’avais découvert avec cet TedX qui m’avait beaucoup beaucoup plue : https://www.youtube.com/watch?v=HyNinbbzGuE

    • Merci d’avoir retrouvé ces liens. 🙂

      C’est dur de se faire une opinion quand d’un côté on te propose des solutions pour vivre sans exploiter et être exploité et que de l’autre, on encense la famille « traditionnelle », excluant ainsi toutes les personnes n’entrant pas dans ce moule.

      Ça confirme mon sentiment qu’il faut vraiment prendre le courant essentialiste avec des pincettes.

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